- HUMEURS (THÉORIE DES)
- HUMEURS (THÉORIE DES)HUMEURS THÉORIE DESÉlaborée peu à peu par Hippocrate (460 env.-env. 370 av. J.-C.) et les auteurs du Corpus Hippocraticum , puis par Galien (129-env. 201), la doctrine médicale de la théorie des humeurs a joué un rôle prépondérant dans l’histoire de la médecine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle environ.La théorie humorale considère que la santé de l’âme comme celle du corps réside dans l’équilibre des humeurs — sang, phlegme, bile jaune, bile noire — et des qualités physiques — chaud, froid, sec, humide — qui les accompagnent. Toute maladie, due à un dérèglement du jeu de ces éléments, est ainsi susceptible d’une explication purement physique. C’est à une telle causalité que l’Antiquité recourt pour rendre compte notamment de la mélancolie (cf. le problème XXX, attribué à Aristote).La pathologie hippocratique distingue trois phases dans le déroulement du processus morbide: sous l’effet de facteurs internes ou externes (l’alimentation, par exemple), la proportion des humeurs se modifie et il se forme des humeurs viciées spécifiques; l’organisme réagit à cette modification par de la fièvre et l’état général du malade se détériore; le cycle s’achève soit par le dépôt des humeurs viciées dans une partie adéquate du corps et leur évacuation, ce qui amène le rétablissement de l’équilibre, soit par la mort du patient. La pathologie hippocratique a l’intérêt de tenir compte, outre les facteurs humoraux, de faits géographiques et climatiques, et de données spécifiques à l’individu telles que son sexe, son mode de vie et son régime, son désir ou non de guérir. La thérapeutique qui en découle est marquée par la confiance en une nature «médicatrice» et par l’importance du pronostic qui permet de prévoir l’évolution du mal et les délais de la crise; par ailleurs, les principes essentiels sont de ne pas nuire, de combattre le mal par son contraire et d’agir avec modération. La théorie humorale est inséparable d’un arrière-plan métaphysique; elle pense la santé de ce microcosme qu’est l’organisme humain sur le modèle de l’harmonie du cosmos qui résulte de l’équilibre des quatre éléments fondamentaux constituant la totalité de l’Univers.Galien, dont la doctrine nous a été transmise par les Arabes et a fourni, à travers Avicenne, la base de la médecine médiévale, affine et précise la théorie des humeurs. Les différents tempéraments sanguin, phlegmatique, colérique et mélancolique s’expliquent par la prédominance dans l’individu de l’une des quatre humeurs. La maladie est l’effet de troubles provoqués sur les humeurs par les quatre éléments eau, feu, air, terre et les qualités physiques, mais Galien ajoute à ces facteurs l’action de la Lune, dont la disposition exerce une influence sur la disposition des humeurs; par ailleurs, sa pathologie prend aussi en considération des anomalies dans les organes et les tissus. Sa thérapeutique est diététique et comporte également une pharmacopée animale et végétale. Philosophe autant que médecin, Galien développe l’idée du juste milieu déjà présente chez Hippocrate, selon laquelle la mesure est la meilleure des choses, se référant à Aristote, mais aussi à Polyclète et au canon des sculpteurs.L’humorisme garde sa prédominance dans les siècles qui suivent. La Renaissance voit dans le jeu des humeurs, commandé par la coction des aliments dans le corps, propre à chacun mais aussi influencé par l’âge, la saison et l’heure, la clef de l’explication des affections psychiques, en particulier de la mélancolie; ce trouble caractérisé par la crainte et la tristesse a sa cause dans une humeur noire et limoneuse qui occupe le cerveau et en altère la température. Même cadre théorique au XVIIe siècle pour concevoir les phénomènes pathologiques: selon Furetière, «toutes les maladies ne sont causées que par des humeurs peccantes [c’est-à-dire qui ont «de la malignité et de l’abondance»] qu’il faut évacuer» (Dictionnaire universel de 1690). Mais on voit à cette époque la théorie des humeurs donner lieu à deux types de pratique médicale, la médecine agissante et la médecine expectante. Pour la première, la maladie résulte de la surabondance ou de l’altération de l’une des humeurs; les organes qui la sécrètent et les canaux qui la véhiculent étant obstrués, il faut les dégager au moyen des procédés que dénonce Molière, saignées et purgatifs. Pour la seconde, au contraire, d’inspiration hippocratique, la nature tendant spontanément à évacuer les humeurs viciées, il faut la laisser faire ou l’aider dans sa tâche.À la fin du XVIIIe siècle, si Pinel et Cabanis n’ont pas encore totalement renoncé à l’humorisme des Anciens, Broussais (1772-1838), lui, consomme la rupture avec cette théorie, considérant que le traitement des maladies doit tenir compte essentiellement des altérations pathologiques constatées dans les tissus. Mais c’est la théorie cellulaire qui viendra définitivement à bout de l’humorisme en proposant un cadre conceptuel nouveau dans lequel la cellule est désormais l’élément pertinent pour rendre compte des phénomènes normaux et pathologiques, et en même temps l’objectif principal du traitement thérapeutique.
Encyclopédie Universelle. 2012.